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Texts/textes
INTRODUCING- Gabrielle Conilh de Beyssac
Barbara Satre,
Historienne de l’art contemporain.
Article publié dans Artpress
Février 2023.
Avec une grande économie de moyens, Gabrielle Conilh de Beyssac développe une pratique à la croisée de la sculpture et du dessin où l’abstraction n’est jamais dénuée de sensualité.
L’œuvre de Gabrielle Conilh de Beyssac se présente comme un chemin à parcourir et une invitation à se saisir de la sculpture. Il y a dans son approche le désir d’associer le geste qui a vu naître la forme avec son potentiel d’activation. En suscitant des expériences polysensorielles, elle cherche à rapprocher sa démarche d’artiste de l’action spectatrice. Ce jeu de concordances se construit à partir de l’observation de formes élémentaires et de pratiques artisanales. Depuis l’enfance, Gabrielle Conilh de Beyssac a patiemment façonné son regard d’un pays à l’autre, en commençant par le Canada et le Mali où elle a grandi, portant son attention sur ce qui fait partout matière manipulable ; une exploration lente qui envisage les moyens en présence dans leur double aspect de matériau et d’outil, dans une logique d’adossement ou d’interrelation. Ces passages s’arriment à une activité de dessin, des projections destinées à mettre en exergue le concret de la ligne ou du tracé, en contiguïté avec la sculpture. Ces propositions de sensibilisation des espaces, toujours mixtes et mobiles, constituent autant de déplacements à même d’accueillir la rencontre des expériences, des médiums et des corps.
Sculpture ouverte
Qu’est ce qu’une sculpture qui ne vaut que par son évidence ? C’est peut-être une œuvre qui se réalise d’abord dans son évidemment. Ce questionnement qui conduit toute l’œuvre de Gabrielle Conilh de Beyssac invite à vivre la sculpture dans une continuité. L’origine de sa création se formule avec «Rocking» (2012), une plaque d’acier découpée, passée à la rouleuse, une feuille de métal incurvée posée sur la tranche, littéralement un berceau. Ce volume en creux fait jouer la légèreté du plan avec la force du pliage qui le maintient en tension. L’œuvre s’ouvre, à la fois par l’espace qu’elle occupe et le vide qu’elle ménage, elle induit une impulsion. La sculpture-levier, mise en mouvement, propose une trajectoire et une temporalité. Elle se balance, elle vibre, elle sonne, et cette expérience simultanément physique et sensible donne à voir le dessin reporté par la tranche de la tôle sur le sol. Il s’agit pour l’artiste d’éprouver le caractère cyclique de toute chose et la réversibilité de la sculpture lorsqu’on en déploie l’ambivalence. Ce rapport vital du pendulaire, du va-et-vient, de l’ouverture et de la fermeture, est mainte fois expérimenté par l’artiste comme dans ce qu’elle nomme les «Espaces tracés» dans lesquels une craie pesante suspendue contre la paroi est soumise à l’action d’un tracé mural, pour souligner les propriétés spécifiques du lieu. Dessin de sculpteur que l’on retrouve dans le «Cycle terre» (2014) qu’elle a récemment rejoué à l’Espace de l’art concret à Mouans-Sartoux, une roue de béton blanc qui, en progressant le long d’un mur, dépose les traces sinusoïdales colorées de craies de différentes densités.
On peut voir dans cette manière d’envisager les prolongements dans l’espace des formes les plus élémentaires un héritage situé entre deux repères majeurs que sont Lygia Clark, d’une part, pour ses objets à manipuler, et Franz Erhard Walther, d’autre part, en écho à ses œuvres participatives ou transitives. L’art de Gabrielle Conilh de Beyssac évolue librement dans cet intervalle de recherche, renouvelant un vocabulaire qui mêle la rigueur du minimalisme à la corporéité du geste relationnel.
Lèvres charnelles
Les déclinaisons qui en résultent se constituent aussi comme des opérations de mesure de « l’espace entre ». La série des «Écarts» (2022) que l’on a pu voir en nombre au centre d’art contemporain de Saint-Restitut sont des sculptures par l’incise. Le pliage et la coupure de plans géométriques réguliers – inspirés des unités colorées de la peinture d’Ellsworth Kelly – composent des figures, disposées au sol ou au mur, dans un équilibre fragile sur l’appui du tranchant de métal. Ces sculptures-ciseaux, tout en résistant à l’identification, renvoient dans leur variation à une imagerie de positions corporelles et sexuelles, dont les béances semblent en attente d’un autre corps. Ici, la sensualité des couleurs pâles et granuleuses comme des peaux renforce ce sentiment. Autre inventaire de fentes dans le plan géométrique, la série des «Pin up» (2022) dessine une variation de formes simples, presque archaïques, multiples sexes féminins rendus à leur érotisme par la suavité de l’acier noir mais aussi par le débord qu’a provoqué l’ouverture de la lame de métal. Ce geste classique de la sculpture fait du bourrelet (résidu de la fusion de l’acier découpé au plasma), aux commissures de l’incise, des lèvres charnelles. S’emparer de la polysémie de la place du sillon dans le champ de la sculpture, c’est aussi ce que l’œuvre intitulée «Matrice» (2014) soulève. La pierre rose de Cruas, aux allures de chair veinée, se découvre dans son intérieur, ou pour ainsi dire dans son intimité, par le glissement sensuel d’une pièce dégagée très légèrement du volume dont elle est issue et que l’on peut faire circuler dans l’ouverture, par frottement.
La modularité de la sculpture, maniée avec une rare acuité par Gabrielle Conilh de Beyssac, s’affirme comme un moyen d’interroger la place réelle, c’est-à-dire d’abord physique, que les œuvres peuvent occuper aujourd’hui dans le monde. Toutes travaillées par l’emboîtement du creux et du plein, ou par l’enchâssement de la deuxième avec la troisième dimension, les œuvres de l’artiste sont des organes, en même temps directs et subtils, qui font prendre conscience de son propre corps dans l’espace, de sa situation, de son désir d’inscription mais aussi de sa propension à l’ouverture, de sa capacité de réception.
Barbara Satre
LISIERE
Bernard Collet
Commissaire - IC Art Developer
La Halle des bouchers
Centre d'art contemporain de Vienne - Isère.
Décembre 2024.
Gabrielle Conilh de Beyssac explore la relation qui se poursuit entre un dessin et la sculpture, c’est-à-dire entre une surface plate et sa mise en volume. Chacune de ses œuvres se tient à la lisière entre l’idée et la force de la matière ou dans la tension qui se crée entre un objet en mouvement et sa trace.
Une idée-concept, matérialisée en un dessin dans les carnets préparatoires de l’artiste, devient intention de sculpture, intention de matière, avant de devenir volume. Devant l’œuvre réalisée on est alors confronté à la force de la matière, à la tension qui s’installe entre la sculpture et l’espace dans lequel elle interagit. C’est cet agir que Gabrielle Conilh de Beyssac nous montre, aussi bien dans ses pièces qui, par frottement sur la surface plane d’un mur y déposent des traces, les marques d’une craie grasse ou d’une cire d’abeille noyée de pigments colorés, que dans l’invitation à mettre ses sculptures en mouvement, à les actionner pour y découvrir des perceptions visuelles différentes, à les découvrir sous des angles de vue renouvelés et parfois même à les « habiter » comme ce fut le cas pour Hamac-Déposition, une pièce réalisée 2012.
Même une forme géométrique simple et unidimensionnelle, forme d’où le hasard est exclu puisque la trace sur le mur suit le rayon du fil qui la contraint, apparaît ainsi tridimensionnelle dans la perception que nous avons d’elle. C’est à cette expérience sensorielle concrète que l’artiste nous invite, cette perception de volume qui est le but même de la sculpture.
Dans une grande économie de moyens, dans la qualité perceptive inhérente à chaque matériau, les passages entre le plan et le volume, la simplicité formelle, on sent la fragilité qui accompagne la force de la matière, cette matérialisation discrète du sensible quand une forme dévoile sa charge symbolique, toujours à la limite d’un oxymore. En effet, comment opposer mieux la délicatesse d’une céramique à la rigueur géométrique d’un cercle, le modelé en creux d’une empreinte de la main au lisse quasi industriel d’un anneau, la féminité évidente d’une forme à sa dureté de métal, la béance d’un écart à la raideur d’un simple trait de pliure.
Chaque forme montrée libère ainsi des significations qui lui sont attachées, comme ce Couple-Oloïde où deux roues dentelées en bois s’encastrent l’une dans l’autre, sorte d’ellipse de Möbius qui, malgré la fixité d’un ancrage l’une à l’autre évoque aussi le potentiel déplacement sans fin de la sculpture dans l’espace, une sorte de mouvement perpétuel possible selon l’impulsion que pourrait lui donner le spectateur. Par cette activation, dans la légèreté d’un geste pris entre bascule et équilibre, l’artiste parvient à s’affranchir de la matière et de son poids.
L’exposition Lisière, conçue pour le lieu d’exposition de la Halle des bouchers explore cette limite entre concept et matérialité, entre dessin et volume, puissance formelle et affect. Il y a donc là quelque chose d’essentiel, au sens où l’essence même de la sculpture est de travailler ces rapports de contraires.
Bernard Collet.
FORCE
Guitemie Maldonado,
Historienne de l’art.
Galerie Maubert
Février 2022.
« Drawing is a verb » : l’idée que le dessin est une action sous-tend, pour Richard Serra, la pratique de la sculpture, dont il délimite le territoire, dès ses débuts, en 1967, par une liste de verbes. Pour Gabrielle Conilh de Beyssac, qui a abordé la sculpture par un certain registre minimaliste, les opérations de mise en forme de la matière sont tout aussi centrales et elle les veut simples – couper, rouler, plier, souder – , lisibles jusque dans la réalisation finale. Elle les règle par le dessin et les confie à des artisans quand elles requièrent un équipement particulier, du fait des dimensions projetées ou de la netteté recherchée, lorsqu’il s’agit de découpes. Dans la Verblist, deux ont trait au dessin (to mark et to erase) et la plupart désignent des actions à exercer sur les matériaux, à l’exception de quelques-uns (« s’affaisser », « couler », « tourner », « pivoter », « pendre », « rebondir ») qui peuvent s’entendre comme la forme elle-même qui décrit un mouvement, en réaction à des forces telle que la gravité. Dans le cas de la courbure ou des plis, auxquels la sculptrice a recours dans ses dernières œuvres en acier peint, flexion ou torsion permettent ainsi de passer du plan au volume, d’obtenir une nouvelle forme tout en conservant à la vue celle de départ, enfin d’y inscrire les tensions d’une mobilité potentielle (détente ou écrasement). Là est précisément ce qui a permis à Lygia Clark de s’émanciper de la surface du tableau et de faire activer la géométrie par le spectateur lui-même : ses Bichos, formes simples découpées dans le métal et assemblées par des charnières, s’ouvrent ou se referment en des configurations diverses dont l’équilibre est aussi réel que susceptible d’être rompu – l’animalité portée par le titre tenant dans ces formes particulières d’animation.
Le point de rupture dans l’œuvre de Lygia Clark est marqué par Caminhando (1963), une bande de papier découpée de façon à former un ruban de Möbius, cette surface continue et suggérant l’infini, dont on peut voir simultanément l’intérieur et l’extérieur. L’acte en constitue d’autant plus le cœur que les deux lignes (l’incision et ce qu’elle produit) sont assimilées, par le titre, à la marche, qui met en relation le corps en mouvement et l’espace traversé-découpé, la marche qui est ligne et, à ce titre, tient du dessin, comme l’écrit Tim Ingold dans Une brève histoire de lignes : « Le voyageur itinérant (wayfarer) est continuellement en mouvement. Il est, à strictement parler, son mouvement. […] l’itinérant se réalise dans le monde sous la forme d’une ligne qui voyage. » Les dessins réalisés par Gabrielle Conilh de Beyssac au moyen d’un tour de potier engagent singulièrement le mouvement : non seulement parce que la circularité régulière en est une forme symbolique, mais aussi parce que la feuille tourne et que la main bouge aussi, que les deux cercles font plus que suggérer un mouvement d’entraînement, l’encre se diffusant de l’un à l’autre à chaque passage (Cercles), qu’enfin les spirales s’éclaircissent à mesure que s’épuise la goutte d’encre qui sert à les former (Spirales), de même que les craies grasses s’amenuisent à déposer des traits sur le papier (Partitions). L’action est toujours réciproque et les deux parties en sont affectées – on entendra ce terme dans tout le spectre de sa polysémie.
Les deux cercles superposés et enchaînés pourraient aussi bien être des plans pour des sculptures, parentes de ce Couple-Oloïde de 2012, que des tracés formés par une autre : comme Rocking de la même année, une fois mis en mouvement, l’ensemble des deux disques crantés encastrés l’un dans l’autre peuvent ainsi tracer sur le sol, pourvu qu’il soit meuble, un motif fait de demi-cercles en quinconce. Produit avant ou après, pour ou par le volume, le dessin ne cesse de faire retour dans l’œuvre de la sculptrice et la sculpture d’y retourner, que celle-ci découpe à son tour dans le plan du mur (Regard Bis, Pin-up), trace dans l’espace des soulèvements, des fentes et des Écarts ou encore que sa façon de reposer à même le sol, en équilibre sur des arêtes, indique une possible mise en branle, on l’imagine, sur un mode oscillatoire lancé par une impulsion. Et l’on pense au premier geste de sculpture réalisé par Richard Long dans une prairie du Wiltshire un jour de 1967, cette Line made by Walking qui représentait pour lui une nouvelle forme de sculpture autant qu’une nouvelle façon de marcher : comme la marche, le dessin est une oscillation ; comme le dessin, la marche est une projection dans un espace aussi physique que mental, la ligne droite tracée par Richard Long de ses pieds foulant l’herbe déclarant dans le même temps le plan horizontal du sol et la distance à l’horizon fermé par la verticale des arbres, la direction et le temps.
Et si les œuvres de Gabrielle Conilh de Beyssac engagent à l’évidence le corps dans l’espace, par leurs dimensions, leur matérialité et surtout les actions qu’elles exécutent et les mouvements qu’elles y impriment, c’est dans un va-et-vient constant avec un monde beaucoup plus abstrait ou immatériel, celui des formes et des idées prenant corps dans le sensible. Raoul Hausmann encourageait, en 1968-69, soit quelque deux ans après l’exposition « Eccentric Abstraction » organisée par Lucy Lippard à New York, à « développer une image nouvelle qui lierait idée et matière, soit une ''sensorialité excentrique'' » : excentrique parce qu’elle enrichit la vue avec les données des autres sens, en particulier le toucher (ici les qualités des différents matériaux, ainsi que les traces des découpes et des soudures qui sont autant de cicatrices, de bourrelets dans les peaux de métal), mais aussi le son (suggéré par le métal ou produit par le frottement). L’excentrique est aussi évidemment affaire de centre : par les dessins sur papier (tracés autour d’un centre), les formes découpées (qui disséminent les centres) et pliées (qui supposent un centre de gravité pour tenir en équilibre), les mobiles (qui quittent leur point d’équilibre pour tourner autour de leur centre ou s’en écarter), l’espace et le corps se voient décentrés, mus jusqu’à l’agitation désordonnée des Partitions, mais accordés parfois aussi dans l’élaboration commune de déplacements qui sont autant de lignes, de tracés et de pensées, de mises en résonance et de mouvements intérieurs qui sont la matière même de l’émotion.
Guitemie Maldonado,
ESPACE PLAN
Émilie Bouvard Conservatrice,
Musée national Picasso-Paris,
Chargée de la recherche et de l’art contemporain.
[...]Gabrielle Conilh de Beyssac pratique la sculpture selon des formes simples qui s’inscrivent dans un héritage moderniste. Rocking (2012), exposée au Musée national Picasso-Paris en 2014, [...] a ainsi la forme d’une ellipse que l’on aurait courbée jusqu’à la faire reposer sur
ses deux arêtes extrêmes. [...] Couple-Oloïde (2012) fait s’embrasser, s’encastrer l’une dans l’autre deux roues dentelées, reposant chacune sur un point de leur circonférence. [...] Ainsi, le cercle, l’ellipse, l’ovale, et les significations symboliques qui y sont associées (origine, éternel recommencement, etc.) sont des formes articulées par l’artiste et qui s’incarnent dans divers matériaux bruts.
Là où Gabrielle Conilh de Beyssac prend la tangente par rapport à cette ligne de la sculpture moderne, c’est dans l’attention qu’elle apporte à l’activation de l’objet. Rocking est amené à se balancer, poussé par le spectateur : le bel ovale en acier corten, est aussi une balançoire, avec laquelle on peut jouer, et se faire peur, en la poussant de plus en plus haut. On s’assoit aussi dans les sculptures de Gabrielle Conilh de Beyssac : Hamac-déposition (2012), Repos (2012) invitent à la sieste dans la toile tendue sur la structure en acier. Tout un ensemble de pièces est bardé de crayons ou craies de couleur et permet de transformer le mur en feuille de papier à dessin, mais selon une « ligne », un « axe », imposé : ainsi, le rayon est défini par la longueur du fil d’accroche de Espace tracé (domaine de Kerguéhennec, 2013). [...] D’autres pièces imposent par leur forme et leur poids en les faisant rouler contre le mur des tracés colorés (Cycle-terre, 2014).
Cette pratique permet de tenir ensemble la rigueur de la forme simple et le désir de faire achever, accomplir l’œuvre par le spectateur — une idée traditionnellement duchampienne, mais qui ici se trouve fortement détournée : si les tracés de craie colorée sont imparfaits, en revanche, ils ne doivent rien au hasard. L’atmosphère serait plutôt celle d’un jardin zen, d’une activité contemplative [...] : celui de l’argile en poudre creusé par le cône que l’on fait tourner avec les mains pour Géographie du cône (2014), [...] et la « musique des sphères » des billes qui tournent sur le rebord des Bols à bille (2012). On comprend ainsi que Gabrielle Conilh de Beyssac décline un ensemble de rapports entre deuxième et troisième dimension, dessins et sculptures. Les billes, les craies colorées, petits volumes associés à d’autres volumes, tournent et tracent dans le plan. Le sable, l’argile voient apparaître des dessins en surface. [...] Rocking, présentée dans le jardin du musée, est un plan courbé actif dans l’espace tridimensionnel. [...] Comment le plan peut se faire espace.
Émilie Bouvard

Gabrielle Conilh de Beyssac
Catalogue des diplômés de l'ENSBA 2012
Léa Bismuth
Critique d'art.
La pratique de Gabrielle Conilh de Beyssac fait dialoguer sculpture et dessin dans le
champ dynamique et concret de l’espace. L’oeuvre est alors interdépendante de
l’environnement dans lequel elle apparaît et prend vie, auquel elle appartient. Ainsi,
la grande pièce en acier Rocking (2012) se doit d’être éprouvée par le spectateur,
dans sa physicalité : à l’échelle du corps humain, la plaque d’acier obéit à un
mouvement de balancier extrêmement gracieux, tout en équilibre et souplesse,
hyper-sensible à l’intensité du geste qui la conditionne, mais aussi à la nature du sol
sur lequel elle décrit sa trajectoire.
Certaines sculptures pourraient dessiner leurs propres formes au sol si par exemple
elles étaient « activées » sur du sable, pendant que d’autres sont des vecteurs de
tracés potentiels. Ainsi, à l’aide de cubes en cire de couleur, le spectateur est invité à
dessiner un arc de cercle jaune sur le mur. Il s’agit là de mettre en exergue la
potentialité énergétique du mouvement, de questionner le concept de trace, compris
comme une virtualité qui s’actualiserait dans une forme.
De ses enseignants Vincent Barré et Ann Veronica Janssens, Gabrielle Conilh de
Beyssac a su garder en mémoire l’économie de moyens et l’efficacité sensorielle des
matériaux. « Je ne représente rien, je cherche simplement à faire l’expérience des
choses les plus élémentaires, comme le poids, la texture, les qualités propres d’un
objet », explique-t-elle. Avec une grande subtilité, ce travail s’empare à sa manière du principe architectural de la clé de voûte : c’est par une unique tension que masse, force et mouvement ne font plus qu’un.
Léa Bismuth.
SCULPTURE D'USAGE
Isabelle Plat
commissaire d'exposition et artiste
Galerie Maubert
2015
(...)Gabrielle Conilh de Beyssac réalise des sculptures à activer. Des sculptures qui n’interprètent rien, ne représentent rien, qui sont autonomes et ouvrent de nouveaux espaces du réel marqué du mouvement vital. Dans la lignée des œuvres de Lygia Clark, celles de Gabrielle Conilh de Beyssac ne se révèlent totalement au spectateur qu’en les manipulant. En suivant leur mouvement, leurs traces, nous approchons d’une expérience hypnotique. Notre créativité et notre conscience sont mobilisées pour voir d’une autre façon ; nous regardons à l’extérieur de nous mais aussi enfouissons notre regard en nous-mêmes ; nous revenons au corps. Nous nous retrouvons pris dans la relation qui s’établit entre l’œuvre et sa trace, voire nous pouvons devenir acteur de cette relation. Face aux images révélées par notre propre manipulation ou sa potentialité, notre imaginaire est renvoyé au regard et par là-même au monde de l’art. (...)